St ETIENNE LA THILLAYE (CALVADOS)
 
Un village virtuel ... Près de Trouville, une poignée d'instit passionnés ont connecté leurs élèves à un village virtuel. Les enfants apprennent l'histoire et le français via le web. Une méthode pédagogique révolutionnaire.,

Regroupés par tables de quatre ou cinq, les 24 élèves de la classe unique de CM1-CM2 de Saint-Étienne-la-Thillaye (quelques centaines d'habitants près de Trouville) planchent sur La Feuille de choux. Ce petit journal local ne relate que des événements du XIXe siècle. Chaque semaine, les enfants en reçoivent un exemplaire par e-mail, qu'ils impriment eux-mêmes sur l'un des deux PC situés au centre de la classe. " C'est quoi, un bipède?" "Qui est Gustave Eiffel ? " Les questions fusent. Les deux ordinateurs, dont l'un est connecté à l'internet, sont arrivés dans la classe en novembre, l'an dernier. Bien que novice, Anne-Claude Lelièvre, l'institutrice, s'est lancée. Depuis, elle vit l'aventure d'Anvie la Corbeline, une méthode pédagogique révolutionnaire.

Anvie la Corbeline, c'est un " village éducatif interactif " imaginaire (http://prologue.crdp.ac-caen.fr). Ses concepteurs, un groupe d'instits bénévoles, se sont inspirés d'une expérience québécoise lancée il y a dix ans. Ils ont situé Anvie en Normandie, dans le pays de Caux. Le village a une histoire, une vie -elle se déroule en 1860- et des habitants, dont dix-huit sont identifiés : leurs portraits et leur biographie sont sur le Net. Le principe? Les écoliers correspondent avec ces personnages virtuels par e-mail. Une quarantaine de classes en France ont travaillé avec Anvie l'an dernier. À l'école de Saint-Étienne -la-Thillaye, trois groupes ont ainsi écrit à " Pierre-Laurent Maillet, sculpteur", " Félicien Salmon, agriculteur " et " Georges Gaston, boutonneux, euh... rebouteux", expliquent fièrement les enfants de la classe.

Avec Anvie, les enfants écrivent pour être lus

Les portraits des personnages y sont affichés, ainsi que des aquarelles du village, peintes par une bénévole. " L'objectif premier, explique Thierry Lacheray, qui administre le site depuis son bureau de Trouville, c'est la maîtrise du langage. " Pour rédiger les courriers, les enfants donnent chacun des idées puis rédigent la lettre en groupe. Sur traitement de texte, avec en prime le droit d'utiliser le correcteur d'orthographe. "Avec Anvie, les enfants n'écrivent pas pour avoir une bonne note ou faire plaisir à leur instituteur, mais pour être lus. " Anne-Claude, l'institutrice, a constaté que les gamins se prennent vite au jeu, ce qui accroît leur motivation dans le cadre de l'apprentissage de l'expression écrite. " Ils ont été estomaqués quand ils ont reçu leur première lettre. Ensuite, ils ont demandé s'ils pouvaient visiter le village. Depuis, ils ont fait de réels progrès dans ce que nous appelons la production d'écrit. " Un des exercices les plus difficiles pour des enfants issus de milieux défavorisés, qui se révèlent nombreux dans cette classe.

À l'autre bout du Net, qui répond aux courriers? Qui sont Pierre-Laurent Maillet le sculpteur et Félicien Salmon l'agriculteur? Des animateurs bénévoles, enseignants ou étudiants installés à Paris, à San Francisco ou en Afrique du Sud et dont les réponses sont coordonnées par Thierry Lacheray, détaché sur le projet par l'Académie pour trois ans." Leur job, explique-t-il, est de faire vivre les personnages virtuels. Ils réagissent à toutes les questions des enfants et les amènent à expliquer leur mode de vie. " 

" Quand nous avons écrit à Pierre-Laurent Maillet, raconte julien, 10 ans, nous lui avons demandé s'il avait la télé. " Évidemment, après, il a fallu lui expliquer ce qu'est une télévision! Des élèves se sont creusé la cervelle afin de décrire  à leur correspondant du xixe siècle les caractéristiques d'un ballon de foot et les dimensions du terrain. La simple rédaction des lettres conduit les élèves de la classe de CM1-CM2 de Saint-Étienne-laThillaye à effectuer des recherches historiques, technologiques, scientifiques... Le tout sur l'internet, dans les encyclopédies multimédias et dans les bons vieux dictionnaires, car les instituteurs tiennent à l'emploi des trois modes de recherche.

Fini l'enseignement " le maître installé à son bureau et les élèves devant, passifs

L'autre force du concept Anvie, c'est cette nouvelle manière d'apprendre. " En histoire, ce qu'ils trouvent, ils le retiennent ", constate Anne-Claude.

Bien sûr, cette manière de travailler bouscule les habitudes pédagogiques. Les initiateurs du " village éducatif interactif" sont tous adeptes d'une pédagogie inspirée par Célestin (*)  Freinet, qui prône notamment (*) ce pédagogue né au XIXe siècle créé une méthode destinée à favoriser l'expression libre des enfants 
le travail en groupe, l'autonomie et l'inter-disciplinarité. Avec Céline, l'aide-éducatrice, Anne-Claude travaille sur Anvie une ou deux matinées par semaine. "Au début, dit-elle, c'est un peu paniquant, car vous n'avez plus d'emploi du temps traditionnel. " Pas simple non plus de faire travailler les enfants en groupe, de les laisser aller et venir
dans la classe, dans un inévitable brouhaha. Fini l'enseignement " frontal " qui voyait le maître à son bureau, et les élèves en face, immobiles et passifs.

Un progrès pour l'humanité?  " Très peu d'élèves ont un ordinateur à la maison, explique Anne-Claude; sans Anvie, ils auraient été perdus, ensuite, au collège. " Soudain, venant du fond de la classe, un cri enthousiaste de victoire l'interrompt. " J'ai trouvé ! ", s'exclame un garçon en brandissant la feuille qu'il vient d'imprimer et qui retrace la biographie de Jules Verne, dénichée sur le Net. " Mais qui est Jules Verne? ", demande un copain. " J'sais pas ", rétorque l'intéressé. Il a trouvé l'information, pas lu le contenu. Voilà ce qu'il va devoir apprendre à faire. Internet ou pas !

source : Newbiz septembre 2001 

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 Dernière mise à jour :  samedi 21 décembre 2002