Rapport TOULEMONDE : fournitures scolaires
 

La gratuité de l'enseignement - passé, présent, avenir

Bernard Toulemonde 

Inspecteur général de l'Education nationale (1er trimestre 2002)

  3.2. Les fournitures scolaires  

        (enquêtes  coût rentrée scolaire / caractère hétéroclite des fournitures / caractère
        personnel de la prise en charge / aides)

Chaque année, avec la rentrée scolaire, la question du coût de la scolarité, du " poids du cartable " revient, lancinante. La notion de " fournitures scolaires " est d'ailleurs élastique, restrictive ou extensive, selon qu'elle se cantonne à la liste des fournitures dressée par l'établissement scolaire ou qu'elle inclut la remise à neuf, de pied en cap, du trousseau de l'enfant et les activités extra ou périscolaires. Comment y voir clair ?

a) Les enquêtes de coût de la rentrée scolaire

Nous avons disposé de quatre enquêtes effectuées en 1999 ou en 2000 (compte tenu d'une inflation très faible, on peut les considérer comme équivalentes) : du Ministère (Direction de la Programmation et du Développement -DPD- : note du 25 juillet 2000) ( " Estimation du coût de la rentrée scolaire 2000 pour les familles " ; celle-ci s'appuie sur l'enquête : " Le coût de la rentrée scolaire 1999 pour les familles ", note d'information n° 99-46, Déc. 1999 (en Annexe))., de l'IREDU à la demande de la FCPE (Rapport intermédiaire rendu public en octobre 2000), de la Confédération syndicale des familles (CSF : " Coût de la Scolarité 2000 ", août 2000) et de la Fédération des Délégués départementaux de l'Education nationale (DDEN : Rapport d'enquête 1999, septembre 1999), cette dernière étant limitée à l'enseignement primaire.

Les résultats, présentés sur le tableau ci-joint, font apparaître d'importants écarts : ceux-ci proviennent de différences importantes de méthodologie, parmi lesquelles la période de référence (la rentrée scolaire pour la DPD, l'IREDU et la CSF ; l'année scolaire pour les DDEN), la nature de l'échantillon (représentatif de l'ensemble des familles pour la DPD), la liste des postes de dépenses retenus (par exemple, les classes transplantées sont incluses dans les dépenses retenus par les DDEN, comptant pour une petite moitié du coût total), le mode de totalisation (l'IREDU ne retient que les familles concernées par des dépenses, et non la totalité des familles).

Sans entrer dans les détails, ces enquêtes montrent, outre un accroissement des coûts au fur et
à mesure de la progression dans la scolarité -cf. : le coût des manuels et des équipements des
élèves des lycées et lycées professionnels, sur lequel on se penchera plus loin-, l'importance
du poste " fournitures scolaires ". Ce poste représente plus de la moitié des dépenses en école
et collège, 40 % environ en lycée, dans toutes les enquêtes (sauf DDEN) ; c'est aussi le poste
(avec les livres) où les dépenses prescrites par les établissements sont supérieures à celles
effectuées à l'initiative des familles (cf. enquête IREDU).

Coût de la rentrée ou de l'année scolaire pour les familles (en francs)
Rentrée ou année 1999 ou 2000

DPD

IREDU

CSF

DDEN

Maternelle

374

1560

Elémentaire

418

665

CP : 560

CM : 953

Collège

812

1225

6ème : 1852

 

 

 

 

 

 

4ème : 1858

Lycée Prof

1123

1882

BEP tertiaire : 1995

BEP industriel : 4122

LEGT

1175

2ème générale : 3451

2ème tech.ind : 4544


b) Le caractère hétéroclite des fournitures scolaires 

L'expression " fournitures scolaires " tend à être un pavillon de complaisance qui recouvre bien des marchandises ! 

Certaines d'entre elles relèvent de la seule initiative des familles, les cartables, par exemple ; du scolaire au parascolaire, voire à l'extrascolaire, le pas est aisément
franchi : l'imagination des fabricants et la pression du marché sur les enfants et leurs parents
poussent à une consommation immodérée, où le " gadget " prend volontiers le pas sur l'utile.

D'autres fournitures relèvent de l'initiative des établissements scolaires et plus précisément des professeurs : papeterie, matériels d'écriture et de dessin, instruments individuels de travail (flûte, œuvres, manuels, calculatrice, tenue de sport, vêtement de travail, boîte à outils, etc…).
Les listes fournies aux parents sont souvent impressionnantes (voir Annexes) ; elles s'apparentent parfois à un inventaire à la Prévert tant les commandes sont d'une infinie variété (formats des cahiers, avec ou sans petits ou grands carreaux, avec ou sans spirale…). Même les classes maternelles -signale-t-on ici ou là-, ne sont plus à l'abri : dans ce cas, la nécessité n'apparaît pas avec la force de l'évidence. 

Les caractéristiques communes de ces " fournitures scolaires " sont d'être d'une part nécessaires aux activités d'enseignement exercées dans les classes, d'autre part d'usage individuel (par opposition à l'usage collectif de certains matériels scolaires ou pédagogiques) et, plus précisément encore, privatif (usage réservé à une personne déterminée).

A cet égard, certaines demandes sont sujettes à discussion : tel est le cas, par exemple, des quelques dizaines de francs demandés quelquefois dans le cadre de l'enseignement de
technologie en collège et destinés à la réalisation d'un " objet ", but tout à fait méritoire et conforme aux programmes. On est là aux limites entre la prestation d'enseignement - absolument gratuite- et la fourniture à usage individuel : dans la mesure où l'objet réalisé revient en pleine propriété à l'élève et si aucune autre source de financement n'a pu être dégagée, en dernier recours, on peut considérer une telle demande comme n'étant pas illégitime. A condition toutefois qu'en cas de difficultés financières de la famille, les mécanismes de substitution soient mis en œuvre.

En tout état de cause, l'expérience montre qu'il est très difficile de contenir les demandes de fournitures scolaires. De très nombreuses circulaires ont appelé à la modération dans les demandes et à la concertation au sein des établissements (Conseils d'enseignement, Conseils
d'Administration) (Circ. des 4 avril 1975, 5 juin 1979, 11 septembre 1981, 27 août 1982, 1er
juillet 1983, 10 août 1988, 30 mai 1990, 19 avril 1991, 20 mai 1992). La répétition des consignes de modération est en elle-même révélatrice de leur insuccès !


Il n'est sans doute pas vraiment utile d'ajouter une nouvelle circulaire à l'arsenal
existant… En revanche, il convient de tout faire pour que :

  • les parents soient avertis avant la sortie des classes : les listes de fournitures doivent être
    dressées en juin et remises aux familles avant les vacances d'été ;
  • les enseignants se concertent entre eux tant dans le cadre des disciplines (conseil d'enseignement) que dans le cadre des classes (sous l'impulsion du professeur principal et
    du chef d'établissement), et avec les parties intéressées (familles, collectivités locales) dans le cadre des conseils d'école et d'administration ou selon toute formule efficace ;
  • plus généralement -et ceci vaut pour le sujet de la gratuité comme pour bien d'autres - informer et former les enseignants aux valeurs fondamentales de l'Ecole.

A cet égard, une " Charte de la gratuité scolaire ", dont certaines organisations avaient
pris l'initiative en 1997, pourrait être mise au point et associer cette fois tous les
partenaires intéressés.

c) Le caractère personnel de la prise en charge financière des fournitures scolaires 

L'usage des fournitures scolaires étant individuel et privatif, la prise en charge financière l'est
aussi : telle est la règle.

Il est clair que les collectivités publiques et établissements scolaires n'ont aucune obligation
financière en la matière.

Dans l'enseignement primaire, la commune " a la charge des écoles ", construction, équipement et " fonctionnement " (Art. 14-I de la loi du 22 juillet 1983, repris à l'art. L.212-4 du Code de l'Education). Les dépenses obligatoires des communes font l'objet d'une énumération (art. 212-5 du Code de l'Education, reprenant la loi de 1983 et les lois des 30 octobre 1886 et 19 juillet 1889). Elles couvrent en premier lieu le " fonctionnement " : fonctionnement matériel (chauffage, éclairage…) - ce qui n'est pas contesté - et le fonctionnement pédagogique, où les lignes de partage sont plus difficiles à tracer. 

Sur ce dernier point, faut-il s'en tenir au " mobilier scolaire ", au " matériel d'enseignement ", aux " registres et imprimés " ( Dépenses qui ne peuvent être portées à la charge de familles, même domiciliées en dehors de la commune : Conseil d'Etat, 9 novembre 1990 Commune de Compiègne.), selon les termes utilisés à la fin du siècle dernier et partiellement repris dans le Code de l'Education ? Ou bien convient-il
d'adopter une conception plus large, que les différences de rédaction des textes avec les charges des collectivités locales dans le second degré (où la loi réserve expressément une liste de dépenses pédagogiques à la charge de l'Etat) peuvent suggérer ? Les deux interprétations ont-elles d'ailleurs des conséquences bien différentes ? Il paraît conforme à la lettre et à l'esprit des textes de considérer que les charges des communes comprennent les dépenses pédagogiques directement liées aux activités d'enseignement prévues aux programmes (ex : matériels pédagogiques et ouvrages à usage collectif), ce qui correspond au fonctionnement pédagogique de l'école.

En revanche, les communes n'ont pas d'obligation quant aux fournitures scolaires à usage individuel et privatif, notamment les livres des élèves (question examinée plus loin). D'ailleurs, le décret du 29 juin 1890 prévoit explicitement : " Dans les communes où la gratuité des fournitures scolaires n'est pas assurée par le budget municipal, l'acquisition des objets énumérés à l'article 7 est à la charge des familles " (art. 8). L'article 7, abrogé depuis 1976, dressait la liste du petit matériel individuel, objets de papeterie, cahiers et livres dont doit être muni tout élève des classes élémentaires.

Dans la pratique, de nombreuses communes vont bien au-delà de leurs obligations et offrent, directement ou par le biais de la Caisse des Ecoles, tout ou partie des instruments de travail des élèves ; dans la plupart des cas, elles allouent une somme globale calculée par élève, à charge pour les instituteurs de répartir cette somme en fonction des besoins qu'ils ont exprimés. D'autres font moins, peu ou pas du tout. De fait, les situations sont très contrastées et nous n'en avons qu'une connaissance approximative (L'enquête de la Fédération des DDEN, déjà citée, livre à ce sujet des chiffres très intéressants, même si elle relève les difficultés à isoler ces chiffres et à définir leur objet dans les budgets communaux :
1) Pourcentage du budget communal affecté aux dépenses d'éducation : 7 % (pour 10 % des communes), 12 % (pour 50 % des communes), 16 % (pour 35 % des communes) et 20 % (pour 5 % des communes).
2) Montant des dotations (fournitures scolaires, petit matériel éducatif, livres scolaires) : moins de 200 F (25 % des communes), de 200 à 310 F (50 % des communes), 400 F (15 % des communes), plus de 500 F (10 % des communes).
Si les fournitures scolaires sont financées en quasi-totalité par les communes, il n'en va pas de même des petits matériels et des livres, où les coopératives, amicales, associations de parents et parents sont souvent sollicitées.

Mais il s'agit de la liberté communale, exercée sous le contrôle des électeurs, et on voit mal comment on pourrait contraindre les communes qui font peu à faire plus.

Toutefois, pour essayer d'amenuiser des inégalités parfois criantes, nous proposons d'une part une enquête conjointe des Inspections Générales de l'Education nationale et du Ministère de l'Intérieur, d'autre part, au vu des résultats de cette enquête, d'ouvrir un dialogue avec l'Association des Maires de France, incluant la question des livres scolaires (cf. ci-après, à propos des livres à l'école primaire).

Dans l'enseignement secondaire : ni les textes relatifs aux collectivités territoriales, cités plus haut, ni les textes relatifs aux EPLE ne prévoient quelque obligation que ce soit quant à la prise en charge des fournitures scolaires. La seule exception réside dans les manuels scolaires des collèges, depuis 1977.

Dans ces conditions, dans le premier comme dans le second degré, les fournitures scolaires pèsent sur les familles. Toutefois, pour faire face à ces dépenses, elles bénéficient d'un certain nombre d'aides :

  • les Caisses des Ecoles (La loi du 28 mars 1882 généralise à toutes les communes la création d'une Caisse des Ecoles ; cet établissement est destiné à " encourager et à faciliter la fréquentation de l'école par des récompenses aux élèves assidus et par des secours aux élèves indigents "., les coopératives, les foyers socio-éducatifs : ceux-ci interviennent, non seulement dans le domaine des fournitures scolaires, mais aussi pour l'achat de matériel à usage collectif, pour les voyages et sorties scolaires, etc…
  • les " fonds sociaux " des collèges et des lycées, créés il y a une dizaine d'années, sont précisément destinés à aider ponctuellement des familles qui rencontrent des difficultés notamment lors de l'achat de fournitures scolaires, y compris les équipements et vêtements. A noter que certaines régions abondent ou doublent le fonds social lycéen (ex : Poitou-Charentes), permettant une démultiplication des aides. A noter également que les fonds sociaux sont loin d'être utilisés en totalité, comme l'a souligné à plusieurs reprises l'Inspection générale ( Le service social et médical destiné aux élèves, le service de restauration et d'hébergement, les conditions d'utilisation du fonds social lycéen ", Rapport IGAEN (Rapporteur : R. François), juin 1995. " Exclusion et pauvreté en milieu scolaire ", Rapport IGEN, déjà cité. et comme le montrent les importants reliquats (cf. Annexes).
  • les bourses nationales d'études du second degré ( Les bourses sont, dans certains cas, assorties de " primes " : en particulier, la prime à la qualification (2 811 F), destinée aux élèves de CAP, BEP et mention complémentaire. Sur l'ensemble du système, voir : " Exclusion et pauvreté en milieu scolaire ", déjà cité, p. 49 à 57 (en Annexe)., complétées parfois également par des Conseils Généraux ou Régionaux, sont destinées à aider les familles, selon les ressources familiales, à faire face aux dépenses de scolarisation de leurs enfants. Rétablies depuis 1998 en collège, elles y sont de montant modeste (354 F, 1 134 F ou 1 821 F selon le cas), alors qu'elles ont un montant significatif en lycée et lycée professionnel (de 774 F à 3 870 F, plus les " primes " éventuelles). La prime d'équipement (1 100 F pour les élèves entrant dans les filières technologiques et professionnelles coûteuses en équipement) a pour objet de couvrir une partie des dépenses induites par les vêtements de travail, les caisses à outils, les équipements de sécurité nécessaires à ces élèves. Le montant de cette prime sera doublé à la rentrée 2001. L'ensemble du dispositif des bourses de lycée date du début des années 1980 et mériterait certainement d'être revu pour tenir compte de l'évolution du contexte
    (multiplication des formes d'aide) et de la scolarisation (orientation en LP ou 2 nde
    générale et technologique).
  • l'Allocation de rentrée scolaire (ARS) : cette aide sociale présente un immense avantage sur les bourses : elle est versée en une seule fois et avant la rentrée scolaire, au moment où les familles doivent procéder aux dépenses de rentrée. Son montant est unique, quel que soit le niveau de scolarité des enfants -ce qui a l'avantage de la simplicité mais ne correspond pas aux frais réels des familles (une modulation est-elle envisageable ?) ; il a été porté à 1 600 F en 1997 et maintenu depuis à ce niveau. Cette allocation est versée sous conditions de ressources, dès le premier enfant, par les Caisses d'allocations familiales.

L'ensemble de ces dispositifs est appréciable, au regard des coûts de rentrée tels qu'ils sont évalués. Au moins pour les écoles et les collèges, en partie pour les lycées et lycées professionnels, la gratuité des fournitures est de fait assurée indirectement, pour les familles modestes, par le cumul des différentes sources d'aide.

 
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 Dernière mise à jour :  samedi 15 février 2003