Activités extra-scolaires : évitons de saturer les enfants
 
Certains mercredis ressemblent à un marathon. Evitons de saturer les enfants avec un trop-plein d'activités. Leur imposer des loisirs qu'ils n'aiment pas ou être obnubilé par leurs résultats peut avoir des effets néfastes sur leur équilibre.
Le 25 juillet dernier, le virtuose François-René Duchable faisait jeter son piano du haut d'un hélicoptère dans le lac de la Colmiane (Alpes-Maritimes) pour signifier qu'à 51 ans, il mettait un terme à sa carrière de soliste. Une révolte, le signe d'une libération, la fin « d'un lavage de cerveau », d'une « carrière imposée » par ses parents. 
L'exemple est bien sûr excessif. Mais pédiatres et psychologues s'accordent pour dire, aujourd'hui, que soumettre ses enfants à trop d'activités ou à des loisirs qu'ils n'aiment pas peut avoir des effets néfastes sur leur bien-être. Dans une société où l'avenir profes sionnel est de plus en plus difficile et incertain, les parents mettent tout en oeuvre pour que leur enfant acquière un maximum de compétences. Vouloir éduquer à la perfec tion part d'une bonne intention.

La pathologie du stress chez les enfants

Gisèle George, pédopsychiatre, parle depuis quelques années de patholo gie du stress chez les enfants, et a publié en 2002 un livre intitulé Ces enfants malades du stress. Selon elle, la société a créé le phénomène : « Les parents finissent par marcher dans le système, persuadés que si leur enfant n'a pas ce qu'il faut (c'est-à-dire tout ce qui est présenté comme incontournable... d'un point de vue purement marketing), il est défavorisé, en décalage, et a plus de risques de ne pas réussir plus tard. C'est alors la course au dernier modèle d'ordinateur comme au dernier pantalon et aux dernières baskets à la mode, aux fêtes d'anniversaire grandioses qui épatent les copains (et les parents des copains), aux activités multiples où la compétition a remplacé la détente et le plaisir. »

Cours de violon à 10h, danse à 15h et dessin à 18h 

sont donc la corvée infligée à de nombreux enfants, chaque mercredi de la semaine. Etty Buzyn, psychothérapeute à Paris, les a surnommés « les petits P-DG ». Dans son cabinet, les enfants « saturés » défilent. Et le danger ne menace pas seulement les familles de milieux favorisés. Les plus modestes sont aussi concernées, la suractivité étant alors synonyme d'ascension sociale. 

D'après Etty Buzyn, psychologue, l'excès d'activités, qui vise à faire de l'enfant un « produit performant », met en danger son équilibre 

« Un jour, une maman célibataire, vendeuse dans un grand magasin, m'a amené ses filles parce qu'elles étaient épuisées, se souvient Etty Buzyn. Malgré son maigre salaire, elle les avait inscrites dans des cours de japonais très chers pour leur offrir " un plus " dans la vie. Apprendre était l'activité principale du mercredi et du samedi. Beaucoup de parents se " saignent " véritablement, s'engouffrent dans des situations difficiles pour augmenter les chances de réussite. »
Alors, un enfant de 9 ans, las de devoir toujours passer d'une activité à l'autre, implore pathétiquement la psychothérapeute : « Si vous pouviez dire à mes parents que j'aimerais avoir du temps pour ne rien faire. »

 « Ce simple exemple illustre à quel point l'excès d'activités, qui vise à faire de l'enfant un "produit performant", à l'école d'abord, sur le marché du travail ensuite, met en danger son équilibre psychoaffectif quand il signifie le renoncement à un légitime désir d'évasion », écrit Etty Buzyn dans son livre Papa, maman, laissez-moi le temps de rêver !

La liste des symptômes révélateurs est longue : fatigue, déconcentration, baisse du niveau scolaire, troubles du sommeil et de l'alimentation. Gisèle George confirme : « Les activités extrascolaires ne permettent pas toujours aux enfants de se reposer et de prendre le temps de digérer les informations apprises au cours de la semaine. Ces jeunes vont se sentir tendus, stressés et auront du mal à poursuivre leur scolarité. (...) Ils seront angoissés devant toute performance supplémentaire, facilement épuisés, parfois même déprimés. »

François Testu, professeur en psychologie à l'université François Rabelais de Tours confirme à la lumière de ses travaux : « Les données chronopsychologiques (études des variations périodiques des comportements de l'élève) montrent que le lendemain d'une journée intensive, les enfants présenteront des rythmicités désynchronisées accompagnées d'une baisse de performance ». Leur rythme de vie ayant été perturbé, les moments d'inattention et de fatigue seront plus importants.

Ceci dit, François Testu invite à dédramatiser face à ce type de cas. 

« Non, les parents ne doivent pas être obnubilés par les résultats, ni proposer un blindage de formation pour que leur enfant soit le premier au concours d'entrée à l'ENA, mais les conséquences sont plus désastreuses encore quand les enfants n'ont aucune activité et qu'ils sont livrés à eux-mêmes ». Selon lui, sans accompagnement péri et extrascolaire, la libération du temps n'est pas synonyme d'épanouissement mais entraîne des conduites déviantes : violence, franchissement des interdits, augmentation de la consommation télévisuelle... « C'est un problème de savant dosage, conclut-il. Il faut leur laisser des créneaux de liberté, une niche où ils puissent rêver. »

Ne rien faire ... rime avec temps perdu ???

« Dans l'esprit des adultes, "ne rien faire" rime avec "temps perdu", regrette Etty Buzyn. Or, les enfants en ont besoin pour se recentrer sur eux-mêmes, imaginer de nouvelles idées, faire des projets, revivre des souvenirs. Pas question de sauter les étapes essentielles du jeu et de l'imaginaire, où certains enfants réinventent le monde avec leurs poupées, où d'autres se déguisent en cow-boy. 

Jean-Philippe Dambreville, directeur des écoles de musique de Rouen, a lui aussi, constaté que le syndrome du petit génie poussait les parents à inscrire leur enfant pour l'apprentissage d'un instrument dès le plus jeune âge. « Au CP, l'enfant apprend à lire et à écrire. 11 s'agit déjà d'un investissement incroyable, explique-t-il. Inutile d'ajouter trop tôt la musique, qui n'est pas un loisir comme les autres, qui nécessite plusieurs heures de cours par semaine et un entraînement quotidien chez soi. » L'idéal est donc de passer par une phase de jeu et d'éveil :leur faire écouter des disques, les emmener à un concert...

La clé d'une éducation équilibrée est le respect du désir de l'enfant. Parce qu'aujourd'hui, indique Jean-Philippe Dambreville, « certaines mamans arrivent à l'école de musique comme elles vont au supermarché. Le jeune veut un nouveau gadget, un violon ou un saxo comme il achèterait la Game Boy dernier cri ».

Bibliographie

(1) Ces enfants malades du stress, Gisèle George, Anne Carrière, 2002, 15 €.

(2) Papa, maman, laissez-moi 1e temps de rêver, Etty Buzyn, AlbinMichel, 1995, 13,90 €.

(3) Chronopsychologie et rythmes scolaires, François Testu, Masson, 2000.

Attendre 10-11 ans et faire le tri entre caprice et passion 

Etty Buzyn préconise alors de patienter : « Mieux vaut attendre 10-11 ans, quand l'enfant commence à savoir ce qu'il désire, et faire le tri entre le caprice et la véritable passion. Surtout, trouver une activité qui corresponde à son caractère, pour qu'il s'épanouisse dans un registre où il est à l'aise. Ne pas demander à un rêveur de jouer au foot ou inscrire à l'escrime un enfant maladroit »

Des conseils pour éviter que d'autres pianos comme celui de François-René Duchable ne tombent du ciel...

Alexandra Defresne

Source : La revue des Parents (septembre 2003)

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 Dernière mise à jour :  dimanche 30 novembre 2003