Familles mono-parentales : l'absence du père 
 
L'impact de l'absence du père varie selon les enfants et le contexte. Pour certains, l'enfant sans père rencontre plus de difficultés. Pour d'autres, la situation économique
et le manque de temps sont déterminants. 
 

 

Enfants du divorce ou orphelins de père, leurs histoires sont diverses et souvent douloureuses. Mais qu'en est-il de leurs trajectoires? Sont-ils plus confrontés que les autres à l'échec scolaire et aux déviances de la vie ? La publication de nombreuses études réalisées en Europe, alliée à l'augmentation du nombre des divorces, a placé cette question dans l'air du temps. 

Hier ignorées, les retombées psychologiques de l'absence du père sur l'enfant sont aujourd'hui décortiquées. «En 1975, quand la loi sur le divorce a été modifiée, beaucoup de réunions ont eu lieu autour de l'avenir des enfants du divorce, souligne Évelyne Sullerot, sociologue et cofondatrice du planning familial. Puis, ce débat a été boycotté. A l'époque, nous étions en plein progressisme des adultes : ils devaient faire ce qu'ils voulaient ! Aujourd'hui, les conséquences sur l'enfant sont établies. On ne peut plus les nier.» Alors, l'enfant éduqué par sa mère est-il toujours un enfant à problèmes ? Pas si simple. «L'absence du père n'a pas besoin d'être physique pour être néfaste, pointait, récemment, le psychiatre Paul Bensussan dans Marianne. Une figure paternelle inconsistante et moralement absente a un impact plus négatif sur l'enfant qu'un père qui donnerait une image structurée un week-end sur deux. »

L'absence du père n'a pas besoin d'être physique pour être néfaste. Une figure paternelle inconsistante a un impact plus négatif sur l'enfant qu'un père qui donnerait une image structurée un week-end sur deux.

En France, un enfant sur sept de moins de 25 ans vit avec un seul de ses parents. 85 % d'entre eux sont aux côtés de leur mère. Une récente enquête du ministère des Affaires sociales recoupant les résultats du recensement avec ceux de l'étude «L'histoire de la famille », réalisée par l'lnsee et l'lned (février 2003), révèle, par ailleurs, que la proportion d'enfants issus de familles monoparentales augmente avec l'âge : ce phénomène concerne 9 % des moins de 3 ans, 16 % des 10-16 ans, et 19 % des plus de 18 ans.

85 % des enfants Issus des familles monoparentales vivent avec leur mère.

Face au nombre croissant de ces «blessés de la route familiale», professeurs et instituteurs sont de plus en plus attentifs aux moindres signes de souffrance ou de déstabilisation de l'enfant. «La difficulté, dans ce genre de cas, est de diagnostiquer l'absence du père, renchérit Henri Vivet, principal du collège de Mourant, en Rhône-Alpes. Si un élève n'est pas demandeur, il nous est difficile d'agir. S'il l'est, on essaie de lui offrir un substitut du père. Le problème est que, dans notre établissement, 75% de nos professeurs sont des femmes. Du coup, il n'est pas toujours évident de combler le vide. »

Cécile Blanc, institutrice dans la Vienne, se souvient de «cette gamine de CM 1, en conflit avec son beau-père parce qu'il voulait prendre la place de son père et dont elle refusait toute forme d'autorité». «Elle était agressive à l'école, avait toujours mal au ventre ou à la tête, raconte-t-elle. Elle avait besoin de se démarquer, qu'on s'occupe d'elle. Le problème dans ce genre de situations, c'est que les parents sont souvent débordés par leur propre histoire. Ils ne se posent pas la question des conséquences que les événements peuvent avoir sur l'enfant à l'école. » 

Elle explique aussi que le mal-être est plus aisé à repérer en maternelle, où les pleurs et les mots d'enfants font fi des tabous. Avec l'âge, le silence et la pudeur s'installent. Les maux s'intériorisent.

Mais, l'inquiétude des enseignants peut parfois les conduire à des a priori, comme en témoigne Michèle, mère de trois enfants de deux pères différents : «Les profs s'immisçaient parfois dans ma vie privée. Certains m'ont fait des leçons de morale "Si votre fille a des difficultés, c'est peut-être de votre faute ! il faudrait songer à avoir une relation normale avec son père ! " C'est parfois mal venu. En fait, mes deux derniers voient très souvent leur père, ils se sentent en sécurité. Et, c'est vrai, ils marchent bien à l'école. Est-ce un hasard ? Je ne le pense pas. En revanche, ma fille aînée aurait eu l'esprit plus tranquille si elle avait pu compter sur son père.

Pourtant, l'impact de l'absence du père varie selon les enfants et les contextes, nuance Paul Archambault, auteur de la thèse «Le Devenir des enfants de familles dissociées» (septembre 2001, université Paris-V). Les cas les plus problématiques pour la scolarité sont ceux de monoparentalités prolongées alliées à de longues difficultés économiques. » Deux enquêtes réalisées par l'lnsee auprès de jeunes âgés de 18 à 29 ans (enquête jeunes, 1992, auprès de 9 344 personnes ; enquête jeunes et carrières, 1997, auprès de 8 373 personnes) démontrent que les enfants issus de familles monoparentales réalisent des études supérieures plus courtes d'une année, en moyenne. 

Elles révèlent également que les enfants de familles «intactes» décrochent plus de diplômes d'études supérieures que ceux de la rupture (45% contre 25%). Par ailleurs, les risques d'échouer au bac doublent en cas de séparation des parents (15% contre 7 %) issus d'un milieu favorisé. Chez les ouvriers, la différence se fait sentir dès le brevet ou le CAP (63% contre 50%). 

« Il existe deux principales pistes afin d'expliquer le raccourcissement des études chez les enfants de familles dissociées, analyse Paul Archambault. La première est liée aux conditions de vie économiquement plus défavorables, surtout s'il n'y a pas de recomposition familiale. La seconde concerne le contrôle scolaire moins accrû au sein des familles monoparentales. » Un troisième élément entre en compte : la volonté de gagner sa vie, plus précoce de deux ans, en moyenne, chez les enfants de familles éclatées. «L'absence de père a cet inconvénient que l'on devient adulte beaucoup plus tôt, glisse Alexandre, professeur de français de 30 ans, qui n'a jamais connu son père. D'un autre côté, elle peut aussi être un facteur d'éveil. Une énergie se crée, la volonté d'être le meilleur et d'être le centre du monde. Et cela passe par l'excellence scolaire. »

Biblio

La Grand Remue-ménage, la crise de 1a famille, Evelyne Sullerot, Fayard, 1997.

Le Choc de 2006, Michel Godet, Odile Jacob, 2003.

Les Enjeux politiques de la famille, Jacques Commaille et Claude Martin, Bayard, 1998.

La Famille en désordre, Élisabeth Roudinesco, Bayard, 2002.

Parents au singulier. Monoparentalité, échec ou défi?, Dominique Favre et Alain Savet, Autrement, 1993.

Nouvelles familles. L'état de l'enfance en France, Gabriel Langouet, Hachette, 1998.

Le thème des divorces est récurrent depuis le XIXè siècle, il a permis de construire de vieux démons», tempère ainsi Claude Martin, auteur du livre Les Enjeux politiques de la famille avec Jacques Commaille. «Les enquêtes ont démontré qu'il n'existait aucune véritable corrélation, ajoute-t-il. On note une légère augmentation de drogues douces et d'attitudes remuantes chez les enfants de divorcés, mais on est loin du grand banditisme ! D'ailleurs, un psychologue polonais a prouvé que les difficultés pouvaient encourager le développement psychologique. La grande difficulté, aujourd'hui, n'est pas tant le divorce et la séparation que le fait d'avoir le temps d'être parent. Il existe beaucoup de pères qui, dépassés par leurs horaires de travail, ne voient pratiquement pas leurs enfants.»

Vanessa Caffin 

Source : La revue des Parents (octobre 2003)

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 Dernière mise à jour :  samedi 24 janvier 2004