La
gratuité de l'enseignement - passé, présent, avenir
Bernard
Toulemonde
Inspecteur
général de l'Education nationale (1er trimestre 2002)
2.
Le champ d’application de la gratuité de l’enseignement
Des incertitudes
pèsent sur l'étendue de la gratuité de l'enseignement quant à la
nature des
établissements concernés d'une part, quant à la nature des
prestations d'enseignement offertes
gratuitement d'autre part.
2.1. la nature des établissements concernés
Les textes
laissent planer une certaine ambiguïté en ce qu'ils semblent ne
concerner que la période de la scolarité obligatoire. Tel était
déjà le cas en 1881 ; tel est surtout le cas de la loi de 1975. En
réalité, la gratuité ne se limite pas à la scolarité obligatoire,
mais relève d'un critère organique - école, collège, lycée publics
-, même si la scolarité s'y déroule avant ou après l'obligation
scolaire :
avant l'obligation scolaire : les classes maternelles et
enfantines, antérieures à l'âge de 6 ans, sont incontestablement
couvertes par la gratuité : le juge administratif en a décidé ainsi
à plusieurs reprises (Conseil d'Etat 10 janvier 1986 - Commune de
Quingey, Recueil Lebon p.3 - 11 décembre 1987 Ville de Besançon c/Labbez,
Recueil Lebon, Tables p. 757), même lorsque les enfants ne sont pas
domiciliés dans la commune.
après l'obligation scolaire : les lois successives des années
1930 portent sur la gratuité dans les lycées, premier cycle (dispensé
ultérieurement dans les collèges) et second cycle. L'ordonnance de
1945 étend la gratuité aux CPGE fonctionnant dans les lycées - ce
qui, compte tenu du public de ces classes et de leur coût de revient
pour la Nation, institue une situation curieuse au regard des étudiants
des universités contraints de verser des droits d'inscription. Quant
aux élèves des BTS - à propos desquels les textes sont silencieux-,
ils bénéficient de la gratuité parce que, comme toutes les autres
formations qui s'y trouvent, c'est le lycée qui dispense gratuitement
ses enseignements, du moins dans le cadre de la formation initiale des
jeunes.
2.2. la nature des prestations d'enseignement offertes gratuitement
La gratuité
porte sur l'ensemble des enseignements obligatoires et optionnels
dispensés dans
le cadre des programmes et horaires officiels, fixés
réglementairement. En revanche, elle ne
porte pas sur des activités supplémentaires, hors programmes,
facultatives, offertes à
l'initiative de l'établissement.
En somme, la
gratuité porte sur ce que l'on appelle " l'externat simple ".
Cette notion se
distingue de " l'externat surveillé " : les études
surveillées organisées en dehors des horaires
scolaires (cas encore fréquent dans l'enseignement primaire) (Dans
les collèges, les études surveillées (dirigées ou encadrées) sont
intégrées à l'horaire normal des élèves depuis plusieurs années.
Elles sont donc gratuites.)
, peuvent faire l'objet d'une cotisation financière demandée aux
parents (certaines municipalités prennent en charge le coût de ces
études) ; a fortiori, elle est différente de la demi-pension et de la
pension, qui impliquent un paiement par les familles.
La notion
d'externat simple est d'ailleurs reprise dans les textes relatifs aux
établissements
d'enseignement privés : " Le régime de l'externat simple pour
les classes placées sous le
régime de l'association est la gratuité ". (Art. 15 du
Décret n° 60-745 du 28 juillet 1960
relatif aux conditions financières de fonctionnement [personnel et
matériel] des classes sous
contrat d'association). Du fait de la prise en charge des dépenses de
personnels et de
fonctionnement par les collectivités publiques, les classes sous
contrat d'association relèvent
du principe de gratuité ; toutefois, une " contribution "
peut être demandée aux familles pour
couvrir deux types de dépenses : celles liées à l'enseignement
religieux ; celles résultant des
équipements (sportifs, scientifiques…) et des bâtiments, qui ne sont
pas prises en charge par
les collectivités publiques. En outre, des redevances peuvent être
perçues pour les études
surveillées, la demi-pension et la pension. La pratique semble assez
différente des règles ainsi
fixées, encore que les situations soient extrêmement variables. A cet
égard, les représentants
des établissements privés font remarquer que les établissements
supportent des charges qu'ils
sont contraints de répercuter sur les familles : soit que le "
forfait d'externat " versé par les
collectivités publiques ne corresponde pas réellement au coût d'un
élève externe de
l'enseignement public (critique adressée surtout aux collectivités
territoriales, la part " Etat "
du forfait faisant l'objet d'une actualisation concertée depuis une
dizaine d'années) ; soit
surtout que la jurisprudence de la Cour de Cassation impute aux
établissements des dépenses
de personnels (indemnité de départ en retraite, prévoyance…) qui ne
peuvent être financées
par l'Etat (Voir
: B. Toulemonde : " Le statut des maîtres contractuels des
établissements d'enseignement privés : une privatisation
jurisprudentielle ? " L'Actualité Juridique - Droit Administratif,
1995 p . 427.).
A propos des
enseignements couverts par la gratuité, on peut poser la question
suivante : ces
enseignements correspondent-ils à la norme " standard ",
fixée par les textes réglementaires,
ou peuvent-ils recouvrir des normes particulières, fixées également
par des textes
réglementaires (et non à la seule initiative de l'établissement) :
classes à horaires aménagés
des écoles, collèges et lycées (par exemple pour l'enseignement
musical) ? En somme, peut-on
traiter différemment des élèves en situation différente (cf.
ci-dessus : les établissements
français à l'étranger) ? Un jugement du Tribunal Administratif de
Versailles considère que les
classes musicales doivent, comme les autres, bénéficier de la
gratuité non seulement pour la
partie des enseignements dispensés dans l'école de rattachement, mais
aussi pour les cours
suivis au Conservatoire (T.A. Versailles 17 décembre 1999, Mme
Coulloch-Katz et autres)
(Voir
aussi le rapport du Médiateur de l'Education nationale, déjà cité,
p. 57.).
On peut
également s'interroger sur la situation des lycées internationaux
(Saint-Germain-en-Laye,
etc…) : ceux-ci accueillent des élèves français et étrangers et
préparent au baccalauréat
international (" option internationale du bac ") dans des
conditions atypiques : imbrication du
lycée public avec d'autres structures publiques et privées (Etats
étrangers, Associations) ;
enseignements très supérieurs en quantité et en qualité aux normes
habituelles ; sélection des
élèves, etc… Des contributions, qui peuvent être élevées, sont
demandées aux parents,
notamment pour rémunérer les professeurs étrangers et financer des
dépenses de
fonctionnement ("
Le lycée international de Saint-Germain-en-Laye (Yvelines) ",
Rapport IGAENR, juillet 1999
(Rapporteur : Mme Choisnard)..
Mais le droit commun est-il adapté à ces situations extraordinaires ?
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